samedi 9 juin 2007

Lettre A - Antoinette - (part 1/1)

Antoinette est enfermée chez elle ; dehors, Paris brûle dans l’été.

Les boulevards fument et ce n’est pas du gaz des voitures. Les piétons se noient dans le goudron fondu. Le parc Monceau est un désert. Les autobus qui se traînent sur le boulevard Malherbes ressemblent à des caravanes. Le gouvernement a interdit la circulation des voitures de particuliers. Paris agonise dans l’air sale du mois d’août. Les fontaines sont prises d’assaut. On a installé une morgue dans des camions réfrigérés. Antoinette se moque de Paris qui n’en peut plus. Elle passe ses journées dans l’appartement de ses parents, boulevard de Courcelles. Antoinette lit les journaux dans un bain de lait d’ânesses. Elle accorde une attention très distraite au reste de l’humanité.

L’appartement du boulevard de Courcelles est majestueux. Il possède deux salons, côte à côte, dont les fenêtres s’ouvrent sur la perspective rectiligne du boulevard déserté. Antoinette y vit seule depuis que ses parents sont partis en Bretagne. Eux aussi ont quitté l’incendie de Paris. Dès les premiers jours de Juillet, lorsque la ville s’est embrasée sans retour, ils ont abandonné le boulevard de Courcelles pour les plages de galets. Ils attendent que la vague de chaleur passe sur la ville. Antoinette est une parisienne : elle est malade loin des gaz d’échappement. Elle s’ébat dans la pollution comme une étoile sur scène. Elle ne se plait que dans les flammes des réverbères et du soleil qui coule, très rouge, de l’Arc de Triomphe à la Concorde. Elle se tord sous la chaleur comme une feuille de papier dans un brasier. Elle aime le craquement du plastique que le soleil fait fondre.

Une sonnerie, assourdie par l’air épais, résonne quelque part.

C’est Marie, la voix crépite de loin.

Ah… tu vas bien ? Quelle chaleur ! Tu veux aller boire quelque chose ?

Merci, mais je suis bien chez moi. Je suis toute nue. Je lis l’Evènement du Jeudi.

Marc aimerait te voir.

Oui, mais je préfère l’Evènement du Jeudi.

Tu es une vraie égoïste.

C’est vrai.

Et tu brûleras en enfer !

C'est vrai