dimanche 9 décembre 2007

Lettre F - Françoise - (part 1/3)

I

Elle repose sa cigarette et le regarde calmement.

Il a dans ses yeux trop bleus pour elle une légère brume amenée par la bouteille de Bordeaux qui agonise sur la table. L'homme se concentre sur la bouche de la jeune femme et tout son visage se tend vers son trait rouge. Il en détaille chaque centimètre. Il apprécie le velouté de ses lèvres et, un court instant, se prend à rêver. La voix tombe comme un immeuble qui s'écroule. Il l'écoute et son front se plisse peu à peu. Il se dit que la vie n'est vraiment pas bien faite. Il se dit que le rêve, décidément, cela se paie se paie cher. Très cher.

Non, Jean-Michel, lui dit-elle, tu n'es pas celui que je veux. Tu n'es pas assez, pas assez. Pas assez, tout simplement. Tu vois, je suis une femme libre, il me faut un horizon vaste comme l'univers et rouge comme un poisson d'aquarium. J'ai besoin d'un amour éternel avec quelqu'un de différent de nous, tu comprends. Je me sens attirée par l'Orient et ses mystères. Il me faut plus que l'Europe. Il me faut plus qu'une vie entre quatre murs avec les sorties du Dimanche au Jardin de Vincennes.

Mais…

Il n'y a pas de mais. Je te regarde, et je sais que nous ne pourrons vivre ensemble. Il me faut toute la vie, Jean-Miche, toute la vie, comprends-tu ?

Françoise se lève et avec elle le regard des hommes attablés autour. Ils regardent ce grand
corps prendre le sac à main posé sur la banquette, déposer une poignée de billets sur la table et se diriger d'un pas majestueusement lent vers la porte de sortie. Françoise marche avec de grandes enjambées.

Elle laisse derrière elle les hommes qui la regardent et Jean-Michel, dont les yeux sont remplis de cette brume humide que chacun connaît bien et qui s'appelle les larmes. Les vieux messieurs qui dînent au restaurant n'ont d'attention que pour la peau de blonde de Françoise. Elle est très claire et modulée. Les larmes, elles, ne se monnaient pas.

II

Françoise est employée municipale chargée de l'intégration.

Elle occupe avec son amie Djamila un bureau de la Mairie de Paris qui donne sur la Seine qui s'offre à elle comme un jour de fête. Françoise hait les ingénieurs comme Jean-Michel. Il lui faut l'exotisme à tout prix. Chaque année, comme d'autre font leur ménage de printemps, elle va en vacances au Maroc. Là, avec Djamila, elle reste étendue sur la plage. Elles parlent ensuite des hommes. Elles n'en pensent pas beaucoup de bien. Djamila n'aime que les européens, Françoise que les maghrébins. "C'est pour les comprendre, dit-elle". "Vois-tu, ajoute-t-elle, la vie est tellement plus riche avec eux."